Ce précieux recueil d'articles est consacré à la vie et aux œuvres de Charles d'Orléans pendant les vingt-cinq ans qu'il a passés en Angleterre comme prisonnier politique. Puisque Charles lui-même a écrit à la fois en français et en anglais, il est juste que la collection soit elle aussi bilingue (huit contributions sont en anglais et trois en français).
Comme le montre la contribution d'A. E. B. Coldiron sur l'histoire de la réception de l'œuvre de Charles, la renommée de Charles comme poète a toujours été plus grande en France qu'en Angleterre. On peut expliquer ce fait (mais cela ne cadrerait pas avec la conviction de Coldiron que les réputations sont conférées aux poètes plutôt que méritées par eux) en disant que la poésie française de Charles d'Orléans est tout simplement meilleure que l'anglaise; mais, là encore, même dans sa seconde langue, il surpasse la plupart des poètes anglais de l'époque. Les preuves de Coldiron montrent que les lecteurs aux XVe et XVIe siècles appréciaient encore beaucoup ses qualités, car ses poésies lyriques en anglais figuraient souvent dans les anthologies contemporaines. À partir de là, il tomba en défaveur en Grande-Bretagne et les auteurs d'anthologies modernes ont globablement perpétué ce profil bas (Coldiron ne pouvait connaître connaître l'anthologie Late Médiéval English Lyrics and Carols (Penguin, 2000) de Thomas Duncan qui honore comme il se doit le talent de Charles).
On est déçu du fait que ce livre, qui regrette vivement le fait que les Anglais se souviennent de Charles comme d'un personnage historique plutôt que d'un poète, accorde si peu d'attention à l'art de sa poésie anglaise. Il n'en va pas de même avec ses poésies lyriques en français. Claudio Galderesi, dans sa contribution 'Charles D'Orléans et l'autre langue', suggère que ses poèmes de captivité se caractérisent par une double altérité: celle d'un langage rendu étrange par des procédés poétiques, mais aussi celle d'une langue maternelle qui, en exil, menace de devenir étrangère. Rouben Cholakian, dans 'Le monde vivant', conteste l'opinion commune que les poèmes d'après l'exil deviennent plus optimistes et extravertis: il y retrouve les mêmes qualités-l'introversion et la subordination du concret à l'abstrait-que les critiques ont trouvées dans ses premières œuvres. Il est dommage qu'une seule contribution soit consacrée à l'appréciation de la poésie en anglais de Charles, celle de A. C. Spearing, qui écrit avec sympathie et pénétration sur ses visions oniriques.
Les autres contributions s'attachent à l'histoire, aux manuscrits et aux textes. Michael Jones conteste de façon convaincante la vision historique de Charles comme une victime du sort en démontrant qu'il a été continuellement impliqué dans les manœuvres diplomatiques tendant à mettre fin à la guerre anglo-française et par là même à sa propre captivité. William Haskins jette un regard nouveau sur les 'hôtes' de Charles en Angleterre dans le but de dissiper l'idée que Charles a passé en Angleterre sa vie dans un désert culturel. Haskins réussit assurément à montrer que ses gardiens étaient des hommes relativement raffinés, mais, dans la mesure où leur culture était celle de la petite noblesse provinciale, il faut peut-être insister davantage sur le mot "relativement" que ne le fait Haskins. Derek Pearsall étudie la vie de William de la Pole, Duc de Suffolk (le geôlier de Charles de 1432 à 1436), et réfléchit aux raisons, ou plutôt, au manque de raisons, pour attribuer à Suffolk un corpus de poèmes courtois. Il y a de bons arguments pour inclure une contribution sur les poèmes de Suffolk dans ce genre de volume, mais l'article de Pearsall sur la 'question de l'auteur' répond à un but très différent, et je me demande ce qu'il fait dans un livre sur Charles d'Orléans.
Les articles sur les manuscrits des poèmes de Charles et sur ceux qu'il possédait lui-même sont remarquables. Gilbert Ouy, qui, il y a bien longtemps, a fait l'inventaire de la vaste bibliothèque de Charles et de son frère Jean d'Angoulême, médite sur ses recherches passées, et, avec une humilité héroïque, presse les savants des générations nouvelles de poursuivre le travail qu'il a laissé inachevé: 'I regret my lack of perseverance all the more as I realize that I shall certainly not live long enough to finish the task' p. 60). Marie-Jo Arn compare la similitude frappante de la mise en page des compilations françaises et anglaises de Charles, et conclut qu'il n'a pas seulement supervisé la copie du ms. de Paris, BN fr. 2548, mais qu'il a également dû le montrer au copiste anglais du ms. de Londres, BL Harley 682. Janet Backhouse revient au manuscrit BL Royal 16 Fii, magnifiquement enluminé, pour faire la suggestion nouvelle qu'il a dû être produit à Calais. Dans une stimulante contribution, Jean-Claude Mühlethaler passe en revue les raisons du choix des ballades de Charles dans 'l'édition' de 1509 d'Antoine Verard; Mühlethaler démontre que, pour ce dernier, l'intérêt de ses poésies lyriques ne se trouvait pas dans les références biographiques, mais dans leur exemplification de la situation universelle de l'amant. La contribution de John Fox consiste en plusieurs notes textuelles: beaucoup des solutions qu'il apporte à des difficultés du texte sont convaincantes, mais je ne suis pas persuadé par une de ses suggestions (à propos de 'Oblesse, oblesseque porrar obier'). Le recueil s'achève avec un utile supplément à la bibliographie de Charles d'Orléans de Deborah Nelson.
Le niveau d'érudition des contributions individuelles et la qualité de l'édition sont très élevés. Il s'agit cependant d'un livre d'érudition pour érudits (avec du latin, et du français et de l'anglais médiévaux et modernes). Sans aucun doute, cela stimulera davantage la recherche savante sur Charles et, espérons-le, davantage aussi la critique littéraire.
Ad Putter
Université de Bristol
Revue des Langues Romanes 105 (2001), 323–25.