Review of Fortunes Stabilnes

Bulletin Codicologique (1998), by P. Uhl

On assiste depuis plusieurs annees a un renouveau des etudes aureliennes (voir C. Galderisi, Charles d'Orleans: 'Plus dire que penser': une lecture bibliographiques, Bari, Adriatica Editrice, 1994, Cette bibliographie analytique s'arrete a l'annee 1992; un nombre considerable de titres ont ete publies dans l'intervalle); un climat evidemment propice a stimuler l'activite editoriale (rappelons au passage l'entree des Ballades et Rondeaux dans la collection Lettres Gothiques).

Le livre de Mary-Jo Arn: Fortunes Stabilnes. Charles of Orleans's English Book of Love participe de ce renouveau, tout autant qu'il en procede.

Il existait deja deux editions des poemes anglais de Charles d'Orleans: 1) G. Watson Taylor, Poems Written in English by Charles Duke of Orleans ..., Londres, Roxburghe Club, 1827; 2) R. Steele et M. Day, The English Poems of Charles of Orleans, 2 vol., Oxford, E.E.T.S., 1941-1946 [reed. en 1 vol, Londres, E.E.T.S., 1970]. La premiere de ces editions est quasiment inaccessible (tirage limite a 44 exemplaires) et sans autorite philologique; la seconde, une edition diplomatique, n'est guere utilisable que par les specialistes du moyen anglais.

L'ambition de Mary-Jo Arn etait de fournir une edition critique moderne qui satisfit a la fois l'attente des specialistes les plus exigeants et celle d'un lectorat beaucoup plus etendu. La gageure est tenue!

Le titre du livre (qui a des chances de remplacer desormais l'appellation vague de 'poemes anglais') est emprunte au poete lui-meme:

O Thou Fortune, that causist pepill playne
Upon thi chaunge and mutabilite,
Did y thee so, y blamyd wrong, certayne,
For Stabill yet herto as fynde y the
Withouten chaunge forto prevaylen me,
But whereas fi[r]st thou fond me in symplesse
Thou holdist me in myn adversite
So that y may biwayle thi stabilnes.
(vv. 4680-87)
Du reste, l'inconstance de Fortune est un theme recurrent de l'oeuvre.

Le text est edite d'apres le Ms. H: Londres, BL, Harley 682; le premier et le quatorzieme cahier sont perdus. Le ms. date vraisemblablement de 1439-1440 (la captivite du duc prit fin le 28 octobre 1440); la datation des poemes peut s'echelonner entre 1420 et 1440. Deux fragments copies sur H ont survecu: Oxford, Bodleian Library, Hearnes Diary 38, f. 261-264 (R9, 10, 15 et 16) et Cambridge University Library, Ms. Add. 2585 (1) [anc. Add. 4047 (20)] (R 5 et 6, B 59 et 60). Les fragments d''Oxbridge', copies d'une meme main, sont sigles Ox.

L'introduction, qui traite en 125 pages de la plupart des questions historiques, litteraires et techniques que l'oeuvre pose, est un modele de clarte pedagogique et d'erudition non affectee.

L'etude codicologique et paleographique de H, ainsi que l'histoire de la transmission du ms. jusqu'a son acquisition par R. Harley, en 1707, occupent les pages 101-119; Mary-Jo Arn s'interesse aussi aux relations existant entre H et le Ms. O (Paris, BNF, fr. 25458), le ms. autographe de Charles d'Orleans, qui, comme on sait, contient neuf pieces en anglais, dont deux sont de la main du duc (p. 119-122). A propos de la mise en page des deux mss, Mary-Jo Arn ecrit: 'A comparison of the layout of H with O reveals many similarities and a few differences in conception. Precisely because the two manuscripts were written by different scribes, their similarities imply that one (probably H) was laid out on the model of the other' (p. 119); a propos des pieces anglaises de O (aucune ne se retrouve dans H), elle observe encore: 'These nine lyrics appear as a group in the manuscript, and were surely written after (perhaps long after) Charles returned to France. The fact that the spelling systems differ markedly from that of the Harley scribe should come as no surprise, since two poems were written by Charles himself, without a scribe to 'correct' his spelling, and the rest were written by a French scribe' (p. 121-122). Les pieces anglaises de O sont reproduites diplomatiquement dans l'appendice I (p. 382-388).

La langue de Charles d'Orleans, signalee des la preface comme 'some of the strangest Middle English ever written', est examinee dans toutes les composantes de son 'etrangete' (graphies, bizarreries syntaxiques, contre-emploi des prepositions, interjections inhabituelles, gallicismes, etc.); de-ci de-la, et ce malgre les efforts du scribe 'to impose a semblance of Chancery Standard' (p. 100), se revelent quelques dialectalismes du Nord de l'Angleterre, qui pourraient avoir ete appris par le poete a Pontefract (1417-1419, au debut de sa captivite (p. 96-101).

Rest la structure de Fortunes Stabilnes, 'unique in English (and probably in French as well)' (p. 2).

L'oeuvre emprunte la forme, assez commune au XVe siecle, d'une pseudo-autobiographie, mettant en scene le 'Je' du Poete-Amant, dont la fidelite au service d'Amour et de Venus est mal recompensee, et dont les espoirs sont invariablement contrecarres par Fortune. L'originalite structurelle tient a l'emploi contraste de vers lyriques et de vers narratifs (les premiers quatre fois plus nombreux que les seconds). Les genres a forme fixe, tels que la ballade ou le roundel (qui ne correspond pas au rondeau francais, mais plutot a la chanson), pour ne parler que des deux types dominants, sont generalement regroupes en series: B 1-81 (vv. 203-2981), B 82-84 (vv. 3046-3137), B 85-96 (vv. 5352-5687), B 97-108 (vv. 6170-6531); R 10103 (vv. 3138-4318) [suppleant le 14e cahier, l'ed. saute du no 71 au no 87], et sont integres, par le biais des passages ecrits en vers narratifs (qui peuvent eux-memes avoir des formes variees) a la trame 'autobiographique' d'ensemble.

L'editeur signale, chaque fois que le cas se presente, la reference de la contrepartie francaise des pieces anglaises (lyriques ou non), dans l'edition de Pierre Champion (Charles d'Orleans. Poesies', 2 vol., Paris, Champion (C.F.M.A.), 1923 et 1927; par ex.: B 1= Ch. 17, B I.

L'ouvrage de Mary-Jo Arn, qui decidement ne merite que des eloges, comporte egalement une precieuse bibliographie (p. 397-413), trois index commodes (Incipit, Refrains des Ballades, correspondances entre les mss. H et O) (p. 415-428), de copieuses notes textuelles et explicatives (p. 429-435; 436-540), un glossaire complet (p. 541-622) et une table des noms propres (p. 623-624). La mise en page des poemes et la typographie employee ne pourront qu'accroitre le plaisir du lecteur.

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Rev 4/99